Le 24 février dernier, la Russie, dirigée par Vladimir Poutine, a entamé une invasion à grande échelle de l’Ukraine, depuis la Russie, la Biélorussie et des régions d’Ukraine contrôlées directement ou indirectement par la Russie. En effet, depuis de nombreuses semaines, des effectifs de l’armée russe étaient postés à la frontière ukrainienne, que cela soit en Russie ou en Biélorussie.
Cette invasion a entraîné une crise humanitaire, obligeant de très nombreux ukrainiens à devoir prendre le chemin de l’exil. Selon le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, 3,5 millions de personnes ont déjà fui l’Ukraine et le nombre total de personnes déplacées au sein de l’Ukraine ou dans les pays étrangers pourraient atteindre, selon les estimations, 12 millions de personnes.
Qu’est-ce qui est mis en place pour aider les réfugiés ukrainiens ?
Face à l’afflux massif de personnes déplacées et afin de faire face à cette situation, le Conseil de l’Union européenne a décidé d’activer la directive 2001/55/CE, dite directive de protection temporaire, imaginée après la guerre en ex-Yougoslavie comme nous le rappelle Jean-Louis De Brouwer de l’Institut Egmont.
Qu’est-ce que cette directive exactement ?
Comme le mentionne l’Office des étrangers
Il s’agit d’une procédure exceptionnelle instaurée par une directive européenne : la directive 2001/55/CE du Conseil du 20 juillet 2001 relative à des normes minimales pour l’octroi d’une protection temporaire en cas d’afflux massif de personnes déplacées et à des mesures tendant à assurer un équilibre entre les efforts consentis par les États membres pour accueillir ces personnes et supporter les conséquences de cet accueil. Cette directive a été transposée en droit belge.
Ainsi, cette directive de 2001, octroie la protection temporaire aux ressortissants Ukrainiens résidant en Ukraine avant le 24 février dernier, ainsi qu’aux apatrides et aux ressortissants de pays tiers autres que l’Ukraine qui bénéficiaient d’une protection internationale ou d’une protection nationale en Ukraine.
L’activation de cette directive va permettre aux personnes concernées de bénéficier, dès leur entrée sur le territoire de l’Union européenne, d’une protection d’un an renouvelable 3 fois. Pour cela, ils/elles doivent se présenter au Centre d’enregistrement à Brussels Expo – Palais 8 afin d’in introduire la demande de protection temporaire. Une fois cette démarche administrative réalisée, les personnes doivent se présenter à l’administration communale de leur lieu de résidence, munies de l’attestation et d’un document d’identité. Par la suite, ils/elles pourront obtenir la carte A.
Cette protection temporaire a également l’avantage de permettre aux personnes qui en sont bénéficiaires de ne pas devoir introduire une demande d’asile comme les personnes fuyant d’autres situations de guerre comme en Syrie ou en Afganistan. De plus, ce statut permet de pouvoir travailler, de percevoir des aides sociales, d’accéder au système scolaire et aux soins médicaux.
Mais pourquoi faire une différence entre personnes cherchant l’asile au sein de l’Union Européenne ?
Si l’activation de cette directive a été saluée par toutes et tous, les associations réunies au sein de la plate-forme belge « Justice migratoire » regrettent que cette directive n’ait pas été activée lors de situations similaires.
Nous déplorons cependant l’application variable du droit international en fonction des intérêts géopolitiques des Etats : cette directive n’a jamais été activée lors de situations similaires et ce, notamment lors de l’arrivée nombreuse de personnes exilées aux frontières de l’UE suite aux conflits récents en Syrie, en Libye, en Afghanistan ou encore lors de la crise migratoire aux frontières de la Biélorusse. L’application du droit international ne peut dépendre des intérêts géostratégiques des Etats.
L’Union européenne établit-elle réellement une solidarité à « géométrie variable » ? Y-a-t-il en Europe un double standard de l’accueil, avec une protection quasiment automatique pour les Ukrainiens et une procédure qui peut être longue et pénible pour les autres, comme nous le confiait François Gemenne ? Nous avons décidé de mener l’enquête.
Nous avons posé la question à Hervé Rigot, Député Fédéral (PS) et membre de la Commission sur la question de la migration.
Pour lui, cela est difficilement explicable.
Ça donne le sentiment qu’il y a une discrimination. C’est difficile à expliquer aux demandeurs d’Asile que les Ukrainiens ont une autre procédure. L’Europe a un texte qui date de 2001 et qu’elle ne l’a jamais appliqué et là elle l’applique pour protéger les Ukrainiens. C’est vrai ils sont dans les conditions et ça justifie qu’on l’utilise et c’est une bonne chose. Mais on a eu d’autre cas comme les Syriens, comme les Afghans, et ils étaient dans les conditions et l’Europe ne l’a pas utilisé, déjà là c’est difficilement acceptable et compréhensible. (Hervé Rigot)
Alors pour quelle raison cette directive qui date de 2001 n’a pas été appliquée lors de la crise en Syrie en 2015 par exemple ?
Deux raisons semblent expliquer cela :
La toute première vient du fait que, selon Samy Mahdi, nous sommes face à un flux massif extrêmement rapide, alors qu’en 2015, la migration des Syriens s’est étalée sur plusieurs mois et qu’il était ainsi possible d’y faire face.
La géopolitique et la théorie de « l’appel d’air » serait l’autre raison selon Jean-Louis De Brouwer, directeur du programme des affaires européennes à l’Institut Egmont et maître de conférence à l’UCL.
L’union européenne a toujours eu une approche ou une politique extraordinairement prudente voir frileuse vis-à-vis de la migration. Lors des crises précédentes, que ce soit par exemple la crise en Syrie à partir du début des années 2010 ou bien la reprise de l’Afghanistan par les talibans et la chute de Kaboul en août dernier, cela a évidemment chaque fois entraîné des mouvements de population fuyant des persécutions ou des craintes de persécutions pour reprendre des termes de la Convention de Genève, mais la différence c’était qu’il y avait une vaste zone territoriale entre l’endroit que ces personnes quittaient et l’arrivée à la frontière extérieur de l’UE. La politique de l’UE a toujours été de garder ou de tout faire en sorte pour que les personnes en demande de protection international, les demandeurs d’asile, restent à l’extérieur de l’UE, c’est-à-dire restent sur le territoire des pays qui étaient voisin du leur, qui étaient voisin du pays affecté par des troubles civils ou une guerre.
L’idée d’activer la protection temporaire a toujours été systématiquement rejetée à ces occasions-là parce que de façon assez cynique, les dirigeants européens considéraient qu’activer la protection temporaire aurait créé ce que l’on appel l’appel d’air, c’est-à-dire aurait été un facteur d’attraction pour ces demandeurs de protection internationale que l’on voulait précisément garder à l’extérieur de l’Union européenne.
Dans ce cas-ci [Ukrainien], il n’y a pas de territoire tampon entre l’Ukraine et l’Union européenne. La première frontière qu’ont franchi les Ukrainiens fuyant les bombardements russes était la frontière extérieur de l’UE et ils sont entrés à l’intérieur, sur le territoire d’états membres de l’Union Européenne. Donc l’argument de l’appel d’air ne jouait pas dans un cas comme celui-là. (Jean-Louis De Brouwer)
Mais François Gemenne, Directeur de l’Observatoire Hugo à l’ULiège, tempère cette idée. Pour lui, cette théorie de l’appel d’air n’a aucun sens :
Mais le problème c’est qu’on en est convaincu, et que donc on est prisonnier de cette théorie que l’on appelle l’appel d’air. C’est-à-dire cette idée que si on améliore les conditions d’accueil, si on améliore les prestations sociales, ça va faire venir plus de gens. Alors qu’en fait pas du tout. C’est pour ça que les immigrés sont généralement si mal accueillis dans les pays européens, parce qu’ils ont peur que s’ils accueillaient mieux ça ferait venir plus de monde. Ça n’a aucun sens et le problème c’est que c’est un fondement essentiel des politiques d’accueil. (François Gemenne)
Différents niveaux de solidarité ?
Si des arguments peuvent expliquer cette différence de l’accueil des personnes demandant la protection internationale au niveau de la législation européenne, des membres de plateforme citoyenne constate qu’en Belgique, la solidarité offerte par l’État n’est pas la même pour tous.
Christelle Salvo, référente à « la Plateforme Citoyenne – BxlRefugees » et coordinatrice de l’antenne liégeoise « Hébergement plateforme Citoyenne » nous a interpellé :
Des personnes se voyaient refuser l’accès au Petit-Château [lieu d’inscription pour les demandeurs d’asile en Belgique], et l’État et Fedasil ont été condamnés à des astreintes pour un montant de 5000 € par jour et par personne. L’accent est mis sur les Ukrainiens, mais ceux qui étaient déjà là avant, les Syriens, Afghans, Ethiopiens, Erythréens, Soudanais, se retrouvent, une fois de plus, sur le côté car la priorité est mise sur les Ukrainiens. À Bordet, il y avait 3 files, la file des Ukrainiens, la file des Mena [Mineur non accompagné], et la file des hommes, mais la troisième file ne bouge pas !
Depuis 5 ans, la plateforme citoyenne, et les personnes qui hébergent ont été criminalisées. Il y a eu le procès des hébergeurs, on a essayé de nous faire croire qu’en hébergeant, on contribuait à la traite des êtres humains etc. Et maintenant, c’est l’État qui nous sollicite, qui sollicite la plateforme citoyenne et les citoyens pour héberger des Ukrainiens.
Cette différence se retrouve également dans le poids des mots utilisés. De nombreux propos, que l’on pourrait qualifier de racistes, ont été tenus par des journalistes ou des hommes politiques.
Cela laisse à penser à certaines personnes que la couleur de peau ou la religion sont peut-être la raison de cette différence de traitement, comme nous le confie Jean-Michel De Waele, professeur de Science Politique à l’Université Libre de Bruxelles.
Mais je pense qu’il y a lieu à s’interroger sur cette façon d’accueillir bien les blancs chrétiens et mal les basanés musulmans. Je pense que c’est vraiment très très problématique et que ça va à l’encontre des valeurs européennes. Car un réfugié est un réfugié. (Jean-Michel De Waele)
Combelas Nathan et Diallo Mamadou